17

Il n’y eut aucun discours pour commencer la soirée, pas même un mot de bienvenue de la part d’Apollonidès. Si la journée s’était terminée différemment, si Massilia avait remporté une grande victoire, tout le monde aurait été ravi d’écouter des palabres à n’en plus finir et de glorifier les héros. Il aurait été légitime, que dis-je ? indispensable d’éprouver de la fierté et de jubiler. Au lieu de cela, ce qui devait être une fête ressemblait à de sinistres funérailles.

Je m’étais demandé comment Apollonidès avait pu élaborer un menu de banquet alors que la famine sévissait. L’ingéniosité de ses cuisiniers était louable. Je n’avais jamais vu de nourriture préparée et présentée avec autant d’art, servie en portions aussi minuscules. En toute autre circonstance, il aurait été ridicule qu’un plat consistant pût se réduire à une seule petite olive garnie d’un brin de fenouil. Elle était présentée sur une minuscule assiette en argent, peut-être dans l’intention de donner l’illusion qu’il y en avait deux. Milon plaisanta :

— Alors que penses-tu de la nouvelle cuisine massiliote, Gordianus ? Je ne crois pas qu’elle aurait grand succès à Rome.

Personne ne rit.

Le divan que je partageais avec Davus était placé de telle façon qu’en regardant au loin, je pouvais voir les divans où Apollonidès et ses proches étaient installés. À cause du faible éclairage, il était difficile de distinguer leur visage, encore plus leur expression, mais même leurs silhouettes floues reflétaient le découragement. Je pouvais entendre leur conversation quand les gens cessaient de parler autour de moi. À mesure qu’on servait du vin, une voix forte avait tendance à dominer les autres : celle de Zénon.

Pendant ce temps-là, Domitius et Milon échangeaient des propos sans queue ni tête, pleins de rancœur. Il s’avérait que le Romain qui commandait la prétendue flotte de secours était un certain Lucius Nasidius. Je ne le connaissais pas, mais eux avaient des opinions arrêtées sur lui. Ni Domitius ni Milon n’était surpris que l’homme eût hésité à participer à la bataille, puis eût filé quand les choses avaient mal tourné pour les Massiliotes ; l’un ou l’autre aurait pu conseiller à Pompée de ne pas envoyer un lâche comme Nasidius pour une mission aussi critique ; ce désastre était simplement la plus récente d’une série de décisions malencontreuses prises par Pompée.

Domitius ou Milon essayait de me faire participer à leur dialogue. Je leur répondais distraitement, car je tendais l’oreille pour saisir la conversation provenant du groupe d’Apollonidès. D’après les bribes que je pouvais entendre, ce que je soupçonnais fut confirmé : Zénon commandait le navire venu apporter la nouvelle de la défaite écrasante. Quand il commença à parler de la bataille, le silence se fit.

— Ils ne combattent pas comme des hommes ordinaires, disait Zénon.

— Et sur quelle expérience te fondes-tu pour te permettre cette remarque, mon gendre ? questionna Apollonidès d’un ton sec. À combien de batailles as-tu participé ?

— J’ai combattu aujourd’hui ! Et si tu avais été là, tu saurais ce que je veux dire. L’atmosphère était surnaturelle. À ce qu’on raconte, les dieux assistent aux batailles, relèvent les guerriers qui sont tombés, les incitent à aller de l’avant ; mais je ne crois pas que les dieux étaient présents sur la mer aujourd’hui et qu’ils encourageaient les vainqueurs. C’était César qui les inspirait. Ils criaient son nom pour se remonter le moral, pour faire honte aux traînards, pour terrasser leurs ennemis. J’ai vu des choses terribles aujourd’hui, que je n’aurais jamais crues possibles…

Dans la pénombre je vis la forme voilée de Cydimache se rapprocher de son mari sur le divan qu’ils partageaient, comme pour le réconforter. Est-ce qu’Apollonidès qui était assis en face d’eux se renfrogna ? Je ne saurais le dire. Sa silhouette grise se tenait assise très droite, les bras croisés, les épaules raides, la mâchoire en avant.

Zénon continua, à voix basse, mais ses paroles étaient claires. De temps en temps, quand l’émotion affleurait, il avalait sa salive.

— Ce que j’ai vu aujourd’hui ! Le sang… le feu… la mort… Il y avait… il y avait deux Romains qui se ressemblaient, sans doute des jumeaux. Ils étaient sur une galère qui essayait de nous aborder. Les Romains ont jeté des grappins, mais ils nous ont manqués. Ils tentaient de se rapprocher ; nous ne cessions de manœuvrer pour nous éloigner : leurs hommes étaient plus nombreux que les nôtres, ils nous auraient écrasés. Notre seul espoir était de nous écarter de notre adversaire pour nous servir de nos catapultes, ou de virer de bord pour l’éperonner. Mais le capitaine romain nous poursuivait comme un chien derrière une chienne. Ils se sont approchés si près que certains de leurs hommes ont sauté à bord de notre navire. Seulement une poignée, huit ou dix. Quelle bravoure ! Quelle folle audace ! Ils cherchaient la gloire, vois-tu. Si nos ennemis avaient fini par nous attraper avec leurs grappins et déferler sur le pont, ces hommes auraient pu se vanter d’être les premiers à bord.

« À la tête du groupe se trouvaient les deux jumeaux.

On croyait rêver, comme si les dieux voulaient nous déconcerter en nous envoyant ces deux êtres quasiment identiques. Quand l’esprit se trouble au cours d’une bataille, on est perdu. Un instant d’incertitude, un battement de cils, un coup d’œil d’un visage à l’autre, et on est mort ! Ils étaient jeunes, ces deux-là ; jeunes et beaux, ils souriaient, criaient et fendaient les airs avec leur épée.

« Mais l’un d’eux a été étourdi : il s’est aventuré trop loin et s’est exposé à une attaque de côté. Par surprise, l’un de nos hommes lui a tranché net la main droite, celle qui tenait l’épée. Le Romain n’a jamais cessé de sourire ! Non, ce n’est pas tout à fait exact : son sourire s’est transformé en une sorte de rictus horrible, figé sur son visage. Le sang a giclé du poignet coupé. Le garçon l’a regardé, ahuri, mais toujours avec ce rictus démoniaque. On aurait pu croire que c’en était fini de lui, mais il n’a même pas titubé. Sais-tu ce qu’il a fait ? Il s’est penché, il a tendu la main gauche et a ramassé l’épée que tenait encore sa main droite coupée. C’est incroyable, mais je l’ai vu de mes propres yeux ! Il a réussi à saisir l’épée, il s’est redressé et a continué à combattre. Il servait de bouclier à son frère, le protégeait, ne se souciant absolument pas de sa propre sécurité. C’était terminé pour lui ; il ne survivrait jamais à la perte de tant de sang, il devait le savoir. Pourtant il balançait les deux bras, faisait des moulinets avec son épée, agitait le poignet d’où jaillissait le sang en grandes giclées.

« Mes hommes ont reculé, horrifiés, écœurés par le sang qui les aspergeait. J’ai réussi à les rameuter et nous avons foncé sur le Romain. Il a levé le bras gauche très haut en l’air. Son épée allait s’abattre sur mon crâne. J’ai cru que j’allais mourir, mais il n’est jamais parvenu à laisser retomber son arme. Un de mes hommes est arrivé sur le côté et lui a assené à deux mains un coup qui lui a tranché le bras au niveau du coude. Que de sang ! Quel spectacle abominable !

Zénon s’interrompit un long moment. Tout le monde s’était tu pour écouter. Cydimache se rapprocha encore de son époux, frémit et haleta. Puis, ayant repris son souffle, il continua :

— De son poignet droit mutilé jaillissait encore du sang. Son coude gauche également tranché ruisselait de sang. C’était horrible ! Et il ne s’écroulait toujours pas. Debout, très droit, serrant les dents, il cria un seul mot. Sais-tu ce que c’était ? « César ! » Pas le nom de sa mère ; pas le nom de son jumeau ; pas le nom d’un dieu, mais « César ! ». Son frère se joignit à lui, puis les autres Romains. Tous hurlaient en chœur, comme s’ils nous jetaient une malédiction.

« Nous avions gagné. Notre navire avait réussi à s’éloigner de la galère. Les Romains restés à notre bord se trouvaient isolés. Mais le blessé, sans bras, sans mains, continuait de protéger son frère, en vociférant. Il se jetait sur nous, donnant des coups ici et là, se servant de son corps mutilé comme d’une arme. C’était monstrueux, un vrai cauchemar !

« Pendant un moment… juste un moment, j’ai été pris de panique. Ces dix Romains, s’ils étaient tous comme celui-là, seraient capables de nous tuer et de s’emparer du navire. Ils m’apparaissaient comme des démons.

« Ils n’étaient pourtant que des hommes, bien sûr, et ils sont morts comme des hommes. Ils auraient pu sauter à la mer pour se sauver et essayer de regagner leur navire, mais ils ont tenu bon et combattu. Le Romain mutilé a fini par tomber. Nous l’avons lardé de coups de poignard. Les blessures ont à peine saigné, il avait déjà perdu tant de sang. Son visage était pâle comme un suaire. Il avait toujours cet horrible rictus quand ses yeux ont chaviré et qu’il s’est recroquevillé sur le pont.

« Son jumeau a crié « César ! » et s’est rué sur nous en pleurant. Il était fou de chagrin, il ne prêtait attention à rien. Je lui ai donné un coup de poignard dans le ventre, puis un dans la gorge. J’ai été stupéfait de voir avec quelle facilité il est mort. Les autres Romains nous ont donné du fil à retordre. Il fallait deux Massiliotes pour chacun. Même quand leurs cadavres ont été jetés à la mer, ils continuaient de nous tuer. Leur sang avait rendu le pont si glissant que l’un de mes hommes est tombé et s’est brisé les vertèbres. Il a expiré aussitôt, allongé sur le dos, le cou tordu, les yeux exorbités, tournés vers le ciel.

Un silence sépulcral s’était abattu sur le jardin. Même les esclaves qui portaient des plateaux sous la colonnade s’étaient arrêtés. Même l’Artémis de la fontaine semblait écouter, immobile, son arc à la main et la tête légèrement inclinée.

Cydimache se rapprocha encore de son mari. Zénon posa doucement la main sur le bras caché de son épouse, comme si c’était elle qui avait besoin d’être réconfortée.

Apollonidès, assis, comme pétrifié, avait soudain pris conscience du silence de mort qui régnait. Ses hôtes étaient envoûtés par les paroles de Zénon.

— Une journée funeste pour Massilia, finit-il par remarquer, presque dans un murmure.

— Une journée funeste, beau-père ? C’est tout ce que tu trouves à dire ? Ce n’est rien comparé à ce qui nous attend !

— Parle moins fort, Zénon.

— Pourquoi, premier magistrat suprême ? Tu t’imagines qu’il y a des espions parmi nous ?

— Zénon !

— Tout ceci, c’est votre faute, à toi et aux autres qui avez voté pour soutenir Pompée contre César. Je vous ai avertis !

— Tais-toi, Zénon ! On en a discuté en temps voulu. Une décision a été prise…

— Par un groupe de vieilles barbes incapables de déchiffrer l’avenir. Nous n’aurions jamais dû fermer nos portes à César ! Quand il est venu solliciter notre aide et nous offrir sa protection, nous aurions dû l’accueillir à bras ouverts.

— Non ! Massilia est toujours restée fidèle à Rome. Pompée et le Sénat sont Rome, pas César. César est un usurpateur, un traître, un…

— César est l’avenir, beau-père ! Quand tu l’as repoussé, c’est à l’avenir que tu as tourné le dos.

Cydimache posa la main sur le bras de Zénon, pour le réconforter ou pour qu’il se maîtrise.

Ce geste de fidélité conjugale irrita Apollonidès.

— Ma fille ! Comment peux-tu rester là à écouter cet homme, quand il parle à ton père sur ce ton ?

Cydimache ne répondit rien. J’observai sa silhouette voilée dans la pénombre. Elle était comme un oracle qui refuse de parler, obscure, mystérieuse. Je ne voyais rien de son visage ou de son corps difformes. Elle me semblait écartelée, terrassée par le chagrin. Était-ce l’effet de mon imagination, étais-je capable d’interpréter ce que me révélait la silhouette d’une bossue voilée ?

Zénon se dégagea sans brusquerie, tendrement, et se leva.

— Tout ce que je sais, beau-père, c’est que lorsque j’étais là-bas et que je regardais nos navires partir en flammes ou se disloquer avant de s’abîmer dans les vagues, je n’ai entendu personne crier ton nom ou celui de Pompée. Des hommes criaient « César ! » quand ils tuaient, et aussi quand ils mouraient. Et ces hommes ont gagné la bataille. Je m’attends à ce qu’ils crient son nom quand ils abattront les murailles de Massilia. Ils crieront « César ! César ! » quand ils nous trancheront la gorge, et le nom de César retentira aux oreilles de nos femmes et de nos filles quand elles seront déshabillées, violées et emmenées en esclavage.

C’en était trop pour nombre de spectateurs. Certains avaient le souffle coupé, d’autres grommelaient.

Même dans la pénombre, je vis qu’Apollonidès tremblait de colère.

— Va-t’en ! murmura-t-il d’une voix rauque.

— Pourquoi pas ? répondit Zénon. Je n’ai plus faim, même pour manger cette misérable pitance. Viens, ma femme.

Apollonidès tourna son regard vers Cydimache, qui semblait hésiter. Enfin, elle se leva péniblement et resta debout, toute recroquevillée à côté de son mari. Avec une lenteur qui faisait peine à voir, tous deux quittèrent le jardin, Cydimache en traînant les pieds, Zénon en boitillant et en lui tenant le bras. Apollonidès regardait toujours droit devant lui.

Après le départ de Zénon, curieusement, la soirée s’anima. De tous les coins montait le bourdonnement de conversations à voix basse. Les gens partageaient l’indignation qu’avaient suscitée les paroles de Zénon, ou leur approbation. Ou peut-être se sentaient-ils obligés de combler le vide angoissant du silence.

— Reste ici, chuchotai-je à Davus.

Tandis que je passais à côté de Milon, il me signala du doigt une direction, croyant que je cherchais les latrines :

— Tu les trouveras par là. Elles sont sommaires, comparées à ce que nous avons à Rome, ajouta-t-il.

Je fis un détour, afin qu’il ne fut pas trop évident que je suivais Zénon. Il y avait assez d’agitation parmi les invités et les esclaves qui servaient pour que je n’attire pas l’attention.

Zénon et sa femme avaient disparu par une porte qui donnait sur une des colonnades et menait à un long couloir très large. Je marchai vite, en jetant un coup d’œil dans les pièces de chaque côté, sans voir personne avant d’arriver à une autre cour, beaucoup plus petite et plus intime que celle où avait lieu le dîner. La cour était sombre et déserte. Du moins, c’est ce que je crus jusqu’à ce que j’entende des voix étouffées.

Je retins mon souffle et écoutai, mais les voix étaient trop basses pour que je comprenne les paroles. L’une d’elles était certainement celle d’un homme ; hormis cela, je ne pouvais faire que des conjectures.

— Zénon ? dis-je.

Un long silence. Puis, la voix de Zénon :

— Qui es-tu ?

Je sortis de l’ombre de la colonnade et m’avançai dans la cour faiblement éclairée par les étoiles.

— Je m’appelle Gordianus.

Un silence encore plus long. À nouveau, la voix de Zénon :

— Est-ce que je te connais ?

— Non, je suis un Romain. Un invité de ton beau-père.

Ce n’était pas entièrement faux.

— Que veux-tu ?

Il sortit de derrière la colonnade d’en face et fit quelques pas vers moi. Sa cape cachait sa silhouette, mais je crus voir sa main droite aller vers sa taille comme pour prendre un poignard. Il approcha encore.

Pendant un bref instant, je fus frappé par l’ironie de la situation, à supposer que l’on trouve mon corps sans vie à cet endroit. Combien de fois avait-on eu recours à moi pour identifier un cadavre découvert dans une cour, pour identifier l’assassin ? Les dieux s’amuseraient follement si Gordianus le Limier terminait sa vie en victime, comme celles des mystérieuses affaires qu’il avait passé son existence à élucider ! Un esclave trouverait mon corps, on donnerait l’alarme, et le dîner du premier magistrat suprême serait interrompu. On remarquerait les traces de coups de poignard et l’identité de la victime resterait inconnue jusqu’à ce que quelqu’un – Domitius, Milon, Davus, Apollonidès lui-même ? – m’identifiât. Mais il y avait peu de chances pour que l’un d’eux fît des efforts pour découvrir le meurtrier, excepté peut-être le pauvre Davus.

A moins que…

Pendant un instant, j’imaginai une histoire extravagante : Méto était encore vivant et à Massilia, les rôles étaient inversés. J’étais celui qui devait mourir, et lui devait me pleurer et débusquer mon assassin. J’éprouvais un avant-goût de la mort comme tous les hommes doivent parfois en ressentir, surtout quand ils vieillissent. Qu’est-ce que passer dans l’autre monde, sinon être rayé de l’histoire, devenir quelqu’un dont on parle au passé, observer en silence dans l’ombre pendant que les autres continuent d’écrire la légende des vivants ?

Je frissonnai ; peut-être titubai-je un peu, car Zénon s’avança.

— Tu te sens mal ?

— Non, ça va bien. Mais je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que tu boites légèrement en marchant.

Il se raidit. Se sentait-il coupable, ou était-ce simplement sa réaction face à l’impertinence d’un inconnu ?

— Une blessure contractée au cours d’une bataille, finit-il par répondre.

— Au cours de la bataille d’aujourd’hui ? Ou est-ce que tu boites depuis plusieurs jours ?

Il était si près de moi que, même à la clarté des étoiles, je pus voir son froncement de sourcils.

— Qui es-tu pour me poser une telle question ?

— A Rome, on m’appelle le Fin Limier. Même ici, certains de tes compatriotes ont entendu parler de moi. L’un d’eux est venu me voir l’autre jour, un homme appelé Arausio. Il pleurait sa fille, Rindel.

Une forme émergea de derrière une des colonnes. On la distinguait à peine dans l’ombre, mais il était impossible de ne pas reconnaître la silhouette difforme de Cydimache.

— Que veux-tu ? demanda Zénon d’un ton brusque. Pourquoi me dis-tu cela ? ajouta-t-il à voix basse.

Je baissai la voix pour la mettre au diapason de la sienne.

— Est-ce que le nom d’Arausio te dit quelque chose ? Ou le nom de Rindel ?

De nouveau, il approcha la main de son poignard. Je tremblai d’effroi, mais sa nervosité m’enhardit.

— Écoute-moi, Zénon. Arausio croit savoir ce qu’il est advenu de sa fille, mais il ne peut en être sûr…

— En quoi cela te concerne-t-il, Gordianus ?

— Quand un homme perd son enfant, il a besoin de savoir la vérité. L’ignorance le ronge, le prive de sommeil, l’empoisonne. Crois-moi, j’en ai l’expérience ! Arausio pense que toi seul peux lui dire la vérité sur ce qui est arrivé à sa fille.

Je jetai un coup d’œil à la silhouette de Cydimache qui restait dans l’ombre.

— Si tu n’as rien à cacher, alors pourquoi baisser la voix pour empêcher ta femme d’entendre.

— Ma femme…, dit Zénon qui suffoqua presque en prononçant le mot. Ma femme n’a aucun compte à rendre. Si tu oses seulement prononcer son nom, je jure par Artémis que je te tuerai sur-le-champ.

Il avait déjà tué des hommes ce jour-là. Je ne doutais pas qu’il en tuerait un de plus. Oserais-je le pousser à bout ? S’il me voyait mettre la main dans le petit sac que j’avais à la taille, il pourrait mal interpréter le geste et dégainer son poignard, aussi procédai-je avec lenteur et parlai-je très doucement.

— J’ai une chose à te montrer, Zénon. C’est dans ce petit sac. Voilà, je la sors maintenant. Tu la vois entre mes doigts ?

Je me pris à regretter que la lumière ne fut pas plus forte, pour que j’observe mieux son visage alors qu’il regardait la bague. La reconnaissait-il ?

Je l’entendis produire un bruit étrange, comme s’il déglutissait ou comme s’il avait de la peine à respirer. Il recula. La peur ou la claudication le fit trébucher. Cydimache sortit de l’ombre et s’avança en titubant, serrant sa robe contre sa poitrine. Elle avait dû penser que j’avais frappé Zénon.

Celui-ci regarda par-dessus son épaule.

— N’avance pas ! cria-t-il avec un sanglot dans la voix.

Il se retourna vers moi et tira son poignard. La lame brilla à la pâle clarté des étoiles.

Son ouïe était plus fine que la mienne. Il se raidit soudain et baissa le bras. Les yeux fixés sur quelque chose qui se trouvait derrière moi, il recula jusque dans l’ombre de la colonnade. Il passa le bras autour de Cydimache, rapprocha son visage du sien, chuchota. Tous deux se retirèrent dans les ténèbres.

— Enfin, te voilà !

Je sursautai quand Davus s’approcha de moi. Mon cœur battait à tout rompre. Je ne savais pas si je devais le remercier ou le maudire. Avait-il gâché l’instant où Zénon aurait pu passer aux aveux, ou m’avait-il sauvé la vie ?

Je poussai un long soupir et regardai dans la direction où Zénon et Cydimache avaient disparu.

Le rocher du sacrifice
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